Blog

29 Sep 2017

Notre Civilisation est-elle mortelle ?

« Le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous »

Aristote, philosophe grec, 384-322 av. J.-C., citation reprise par un slogan SNCF

 

Isabelle Basel : selon vous, Thom Del, notre Civilisation est-elle mortelle ?

Thom Del : oui, je le crois. Notre civilisation est une création de l’humain, qui lui-même est une entité de la Vie. Toute les entités de la Vie étant mortelles, notre Civilisation est évidemment mortelle. Néanmoins, lorsqu’on observe la Vie, on constate que si ses entités meurent, c’est toujours pour donner naissance à de nouvelles forme. Certes, il y a disparition, mais il a surtout transformation et apparition de nouvelles formes.

 

Isabelle Basel : cela fait penser à la maxime de Lavoisier : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.

Thom Del : En effet, cette maxime peut aussi parfaitement s’appliquer aux Civilisations. Notamment à la nôtre.

 

Isabelle Basel : comment définiriez-vous la Civilisation ?

Thom Del : pour faire simple, je dirais que la Civilisation est l’ensemble des créations matérielles ou immatérielles de l’esprit humain, créations artistiques, scientifiques, techniques ou technologiques, économiques, organisationnelles… Dans les Archéologues de l’Espace, la Civilisation est surtout décrite sous un angle scientifique et technologique. C’est certainement réducteur, mais c’est l’angle que j’ai choisi de privilégier.

 

Isabelle Basel : je reviens à la mort des Civilisations, c’est un thème que vous abordez particulièrement dans les épisodes 3 et 4 des Archéologues de l’Espace. Vous évoquez aussi des âges d’Or. Expliquez-nous ce que vous entendez par ce concept ?

Thom Del : dans les épisodes 1 à 6 des Archéologues de l’Espace, j’utilise en effet le concept des 3 âges d’Or, concept que l’on peut rapprocher de celui de Civilisation. Chaque âge d’Or est marqué par une rapide progression des Sciences et des techniques. Le 1er âge d’Or correspond en gros à l’Antiquité, en particulier à ce que certains historiens ont appelé le Miracle grec. On peut prolonger ce Miracle grec par l’Empire romain, même si les progrès scientifiques et technologiques y sont bien moindres. Le 2ème âge d’Or correspond à notre époque actuelle, depuis la Renaissance jusqu’à 200 ans dans le futur. C’est grosso modo notre Civilisation, période durant laquelle on observe un formidable dynamisme dans les Sciences et les techniques. Ce dynamisme a démarré en Europe occidentale et s’est ensuite propagé au reste de la planète. Le 3ème âge d’Or correspond à un futur lointain. Dans les épisodes 3 et 4, je traite en particulier de la naissance et de la mort des 3 âges d’Or.

 

Isabelle Basel : vous évoquez aussi la notion d’âge Sombre.

 

Thom Del : effectivement. Chaque âge d’Or étant mortel, entre deux âges d’Or vient s’intercaler un âge Sombre. Le Moyen-âge est le 1er âge Sombre. Suivant la chronologie donnée dans les Archéologues de l’Espace, après notre 2ème âge d’Or actuel, devrait démarrer un 2ème âge sombre.

 

Isabelle Basel : pourquoi 3 âges d’Or ?

 

Isabelle Basel : 3 est un nombre symbolique. En fait, dans le 4ème épisode, je suggère que plutôt que 3 âges d’Or, il y a une succession d’âges d’Or et d’âges Sombre, dont à l’époque des Archéologues de l’Espace, on ne connait plus précisément le nombre. L’alternance des âges d’Or et des âges Sombres forme l’Histoire humaine.

 

Isabelle Basel : quelles sont les causes de la mort d’une Civilisation, ou plutôt d’un âge d’Or, puisque c’est le concept que vous privilégiez.

Thom Del : pour le 1er âge d’Or, c’est-à-dire la période grecque et son prolongement à l’Empire romain, les historiens avancent de nombreuses causes pour expliquer sa fin. Par exemple, au 18ème siècle, l’historien britannique Edward Gibbon voit comme cause principale à la fin de l’Empire romain, la montée du christianisme. Même si elle est sans doute discutable, la thèse de Gibbon est en partie reprise dans les épisodes 3 et 4 des Archéologues de l’Espace. Dans ces épisodes, la fin du 1er âge d’Or est liée à l’essor du christianisme et plus largement des idéologies monothéistes.

 

Isabelle Basel : c’est-à-dire, quel est le lien de cause à effet entre la fin du 1er âge d’Or et l’essor des idéologies monothéistes ?

 

Thom Del : dans les Archéologues de l’Espace, il est proposé un mécanisme similaire pour expliquer la fin de chaque âge d’Or, même si le 3ème âge d’Or fait un peu figure d’exception. Grosso modo, on retrouve le mécanisme suivant. Durant chaque âge d’Or, on observe de très forts progrès scientifiques et technologiques. Progrès technologiques qui sont à l’origine de très fortes inégalités entre ceux qui possèdent la technologie (où tout du moins qui en tirent les principaux bénéfices) et ceux qui ne la possèdent pas. Ces inégalités créent d’importantes distorsions sociales, qui finissent par atteindre l’âge d’Or lui-même. Malgré diverses tentatives, les distorsions sociales ne peuvent se régler que par la fin de l’âge d’Or, la venue d’un nouvel âge Sombre. Durant cette âge Sombre, il n’y a plus de progrès techniques, mais les inégalités sociales peuvent enfin s’atténuer.

 

Isabelle Basel : les âges Sombres ne sont donc pas tant que ça négatifs ?

Thom Del : exactement… On peut tout de même y trouver du négatif, au sens qu’ils favorisent moins la création. Cependant, on peut y trouver du positif, au sens qu’ils atténuent les inégalités sociales, qu’ils répartissent mieux les richesses, qu’ils préparent finalement la naissance d’un nouvel âge d’Or. C’est mourir pour mieux renaître. Prenons l’exemple du Moyen-âge (1er âge Sombre), qui connait un développement spectaculaire des idéologies monothéistes. Leur caractéristique principale est d’être des idéologies égalitaires. Tout le monde, du plus riche au plus misérable est égal devant le dieux unique. Le slogan est les derniers seront les premiers. Une meilleur redistribution favorise indiscutablement la paix sociale. Cela peut cependant apparaître comme une entrave à la création, en particulier scientifique et technique.

 

Isabelle Basel : un point qui me trouble néanmoins, le Moyen-âge est rarement présenté par les historiens comme une période plus égalitaire que l’Antiquité. On le voit plutôt comme une période de féodalité et de servage.

 

Thom Del : c’est vrai. Mais ce qu’on regarde ici, ce ne sont pas les faits, mais l’idéologie dominante. L’idéologie dominante au 1er âge Sombre est indiscutablement plus égalitaire que celle du 1er âge d’Or. Dans les idéologies monothéistes, ce sont les pauvres, les misérables qui seront les premiers au Paradis. Les nantis et les puissants du 1er âge Sombre ont dû gérer ce paradoxe avec moult pirouettes, cela afin de conserver leurs privilèges.

 

Isabelle Basel : reparlons un peu de notre époque actuel. L’idéologie dominante est-elle vraiment si inégalitaire ?

Thom Del : oui, je le crois, même si évidemment il y a des tensions, des zones de conflits idéologiques. L’idéologie dominante doit toujours affronter des idéologies anciennes, ainsi que des idéologies plus récentes qui ne demandent qu’à prendre sa place. Dans les Archéologue de l’Espace, il est suggéré que le 2ème âge d’Or est actuellement à son apogée. Sciences et technologie dominent largement la planète. Le cas des Etats-Unis est symptomatique. Dans les magazines, les milliardaires de la Silicon Valley, qui ont amassé des fortunes considérables grâce aux nouvelles technologies, sont présentés comme les nouveaux prophètes. Les technologies continuent de progresser à vitesse rapide, mais en contrecoup les inégalités ne cessent de se creuser. A cela se rajoute les inégalités face aux modifications climatiques. Si les inégalités s’accroissent davantage, on peut s’attendre à des contestations sociales de plus en plus virulentes. Ces contestations auront pour corolaire un abandon partiel (voire même total) des technologies mises en œuvre lors du 2ème âge d’Or.

 

Isabelle Basel : vous dîtes que les idéologies actuelles ne sont pas égalitaires, pourtant il y a eu au siècle dernier des idéologies égalitaires. Je pense par exemple au communisme, qui est indiscutablement une idéologie du 2ème âge d’Or.

 

Thom Del : en effet, on peut interpréter le communisme très prégnant dans la 1ère moitié du 20ème siècle comme une tentative de résorber ces inégalités. Finalement, comme une tentative de sauver le 2ème âge d’Or. Dans les Archéologues, il est suggéré l’idée que la tentative communisme ne pouvait être qu’infructueuse. En effet, le communisme ne s’attaque pas à la véritable cause des inégalités, les Sciences et la technologie. Au contraire même, puisque le communisme soutient les Sciences. En outre, il cherche lui-même à se présenter sous les traits d’une science.

 

Isabelle Basel : selon vous, aujourd’hui, quelles sont les principales forces d’opposition aux inégalités croissantes ?

Thom Del : ces dernières décennies, pour tout un tas de raisons, on a assisté à une forte remontée de l’Islam (et dans une moindre mesure du Christianisme). Aujourd’hui, avec l’effondrement de l’idéologie communiste, on peut considérer les idéologies monothéistes comme les principales forces d’opposition aux inégalités croissantes. C’est ce qui leur donne d’ailleurs toute leur importance.

 

Isabelle Basel : est-ce que les idéologies monothéistes peuvent faire vaciller la civilisation scientifique et technologique actuelle ?

Thom Del : franchement, je ne crois pas à un tel scénario. Prenons l’exemple de l’Islam qui aujourd’hui semble posséder le plus de vigueur. Si certaines composantes de l’Islam s’attaquent parfois aux Sciences, aucune à ma connaissances ne s’attaque aux technologies. On observe même souvent une attitude inverse, les technologies sont traitées favorablement par les différentes composantes de l’islam. Il en est peu ou prou de même pour les autres idéologies monothéistes… Par contre, on trouve dans certaines idées écologistes, une remise en cause du progrès technique. Cependant, cette remise en cause du progrès technique est avancée aujourd’hui surtout pour des raison de protection de l’environnement, parfois pour un retour à un « état naturel », finalement assez peu pour des raisons sociales.

 

Isabelle Basel : quels seront selon vous les raisons de la fin de notre Civilisation ?

Thom Del : personnellement, je n’ai pas d’avis tranché. Dans les Archéologues, je propose juste des hypothèses, je brosse des avenirs plausibles, sans porter d’ailleurs de jugements de valeurs sur ces avenirs. Dans l’épisode 4, il est développé l’idée que de nouvelles idéologies vont apparaître, qu’elles vont connaître un essor prodigieux dans les 2 prochains siècles. Ces idéologies remettront en cause le progrès technique, non pas par simple soucis de protection de l’environnement ou de la planète, mais parce que le progrès technique est la véritable source des inégalités. Ce sont ces idéologies qui mettront fin à notre Civilisation ou à ce qui est appelé le 2ème âge d’Or dans les Archéologues. Alors commencera le 2ème âge Sombre, qui s’il fige Sciences et progrès technique, n’est pas tant que ça négatif. En effet, il permettra enfin de résorber les inégalités criantes du 2ème âge d’Or et ouvrira la voie à un 3ème âge d’Or.

track